Couleur, peinture, tissus, sexualité !(Mireillekat )
Chaim Soutine
Voilà un joli texte de Mireille que j'ai rencontré au Pradet , il y a quelques années, c'est elle qui est venue me cueillir comme une fleur à la gare. Je vous assure que ce n'était pas triste
Couleur, peinture, tissus, sexualité !
J’ai un énorme bleu à l’âme, entre autres. J’en ai pris plein la
gueule. J’ai les yeux aux bords noirs. J’ai cru être la huitième
femme de barbe bleue. Cette histoire de clé qui ouvre la chambre
fatale sur les sept cadavres baignant dans une marre de sang rouge,
m’a toujours fascinée. Soutine, Rembrandt, sont là présents. Hier
soir, j’ai frisé le drame. Il est arrivée, un chiffon à la main puant
le pétrole, nu sous son bleu de travail, ce qui ne me laisse jamais
indifférente. Il s’est mis à me cogner dessus, tout ça parce qu’il
m’avait vue rouler une pelle à Jojo, du bar de la marine. Je m’en fou
de Jojo. C’était juste qu’il faisait beau, que le ciel jouait entre
les mâts des bateaux, que le regard pervenche de Jojo m’avait
inondée. Ça n’avait rien de romantique, juste un petit bleuet que
l’on cueille au bord de la route. Un clin d’œil à un monochrome
d’Yves Klein, à une lumière intense, au vol noble d’un « gabian
» (sorte de goéland) qui glisse vers les nuages. Mais mon homme, il
est comme ça. Entier, jaloux, le flaire d’un chien de chasse qui
renifle et hait les bleuets. Au printemps dernier, c’était les
coquelicots qui m’avaient envoûtée et qu’il n’avait pas supportés, je
m’étais senti transporté dans une prairie de Renoir. La soie rouge du
pétale, le velours noir du cœur couronné de mille fines épingles à la
minuscule tête ronde. J’avais basculé dans les bras d’un nouveau
voisin. J’ai encore la trace de l’hématome provoqué par les coups.
Les couleurs, moi, ça me retourne, la peinture c’est ma passion, et
dès que le processus couleur peinture se met en route, je bascule
dans une émotion qui m’envahit toute entière. Ça, Alain, il a jamais
pu le comprendre. Pourtant c’est lui mon homme, je l’aime. Mais là,
maintenant, j’ai peur . Le week-end prochain, nous devions aller à
Conques voir les vitraux de Soulage. Si jamais je tombe sur un
Africain à la peau satinée, je ne réponds pas de moi ! C’est décidé
je pars seule, je vais lui envoyer un télégramme. Je suis triste !
J’ai une petite faim. La première crémerie est la bonne. Je tombe en
arrêt devant l’un de mes fromages préféré : un brie, crémeux,
légèrement coulant, offrant sa chaire blanche à mon regard. Ah ! le
carré blanc sur fond blanc de Malevitch. Oh ! l’épaisseur onctueuse
sous la spatule de Nicolas de Staël.
Il n’est pas inintéressant ce petit crémier dans sa blouse immaculée.
Je suis moins triste….
MireilleKat