L'inconnue
texte réédité
Derrière ma fenêtre, je regarde ce qui se passe dehors. Tout est gris,les pelouses, les murs, les rues, quand au ciel, n’en parlons pas,il est noir. Il pleut sur la ville.
Dans mon quartier, des voitures sont souvent volées ou cassées. Très peu de personnes marchent dans la rue, trop pressées . Est ce la pluie ou la peur qui les font fuir ? Je ne sais pas, pourtant une femme piétine juste en face de chez mes voisins. Sans imper, sans parapluie ,elle est là, trempée, elle attend. Qui est-elle ? Je ne la connais pas, je ne l’ai jamais vue. Son manège m’intrigue et je ne peux m’empêcher de la regarder. Elle me paraît grande d’où je suis, ses cheveux noirs descendent trempés sur ses épaules. Sa minceur me ferait presqu’envie, moi qui ait pris quelques kilos. Avant, j’étais trop maigre, de sa ligne mannequin, je m’en moque. Cela fait dix minutes qu’elle est là , moi, je surveille. Je ne peux pas voir ses yeux car je suis à l’étage, de plus, ils sont presque toujours baissés. Ses habits sont bien coupés et de bonne qualité. Je ne pense pas que cette femme soit une prostituée, elle est trop distinguée pour cela. Que peut-elle donc attendre sous la pluie ? D’habitude, je n’aime pas espionner, la vie des gens ne me regarde pas, chacun fait ce qu’il lui plait dans la mesure qu’il ne me gène pas. Là pourtant, je suis encore à surveiller cette femme inconnue et je commence à me faire un roman ou un film.
Mon imagination va tellement loin parfois. Cette femme pourrait bien être l’épouse d’un truand qui repère les lieux d’un crime ou d’un cambriolage... Je ne pense pas, elle piétine sur place. Elle pourrait être une espionne qui attend un collégue pour lui remettre des informations secrètes, là non plus, je ne pense pas, car si cela avait été le cas, elle se serait cachée ailleurs que sur le trottoir, au vu et au su des bedeaux. J’ai éliminé plus haut dans mon récit, la prostituée, sa démarche et ses habits ne collent pas au personnage. Qui est-elle et que veut-elle ? Avec mes questions et mes réponses bidons, cela m’a fait passer une bonne demie-heure et elle est toujours au coin de la rue à me narguer malgrès elle. Soudain, je vois une voiture qui descend de l’avenue et qui s’arrête devant... cette femme. Un monsieur en sort. J’ai trouvé ! C’est son amant, ce doit être cela, sûrement cela oui, seulement, il y a un gros hic dans mon scénario. Si c’était son amant, pourquoi y a t-il des enfants qui sortent de cette voiture ? C’est une torture, je n’en peux plus, j’ouvre la fenêtre, ma curiosité étant trop forte, il faut que j’écoute ce qu’ils disent car ils discutent fort dehors, ils se disputent.
Lui - Que fais-tu dehors sous la pluie ?
Elle - J’ai oublié mes clés ce matin.
Lui - Tu ne pouvais pas m’appeler au travail ?
Elle - J’ai essayé mais ton portable étais éteint.
Lui - Le portable, peut-être, mais au bureau, il y a des fixes.
Elle - Et comment j’aurais pu faire ? Je n’ai pas le numéro, tu n’as jamais voulu me le donner.
Lui - L’annuaire, cela existe, non ?
Elle - Où est-ce que je l’aurai trouvé ? Tout est fermé depuis une heure au moins.
Je referme la fenêtre, cela ne me regarde pas, d’ailleurs je n’aurai jamais dû fouiller comme cela. Au lieu de me raconter des histoires, j’aurais pu rencontrer et rendre service à cette femme. Au lieu de cela, je me suis contentée comme beaucoups, de rester chez moi, derrière ma fenêtre à spéculer bien mal à propos sur une voisine que je ne connais pas et qui avait tout simplement oublié ses cles, qui attendait dehors, faute de porche afin de s’abriter de la pluie.
Toute cette prose pour dire que par peur, l’imagination et quelques fois un bavardage intempestif, on peut faire courir des rumeurs et des méchancetés qui feront certainement du mal aux personnes qui en seront visées.
VENDREDI 16 janvier 2004