Charlotte Corday ( fin)
Son procès
On la transféra à la Conciergerie, le 16 et le lendemain, à huit heures du matin, les gendarmes vinrent la prendre pour la conduire au Tribunal révolutionnaire.
Montané présidait, assisté des juges Foucault, Roussillon et Ardouin. Fouquier-Tinville occupait sa place d’accusateur public. Au banc du jury siégeaient Jourdeuil, Fallot, Ganney, Le Roy, Brochet, Chrétien, Godin, Rhoumin, Brichet, Sion, Fualdès et Duplain. L’avocat choisi par l’accusée, Doulcet de Pontecoulant, n’ayant pas répondu à l’invitation qu’on lui avait adressée (il semblerait d'ailleurs que Fouquier-Tinville ait tout fait pour que l'invitation arrive trop tard), le président nomma d’office Chauveau-Lagarde, présent à l’audience, défenseur de Charlotte Corday.
Après la lecture de l’acte d’accusation, l’audition des témoins, la lecture de la lettre qu’elle écrivit à son père, le 16 juillet où elle justifie son acte :
« Pardonnez-moi, mon cher papa, d’avoir disposé de mon existence sans votre permission. J’ai vengé bien d’innocentes victimes, j’ai prévenu bien d’autres désastres. Le peuple, un jour désabusé, se réjouira d’être délivré d’un tyran. Si j’ai cherché à vous persuader que je passais en Angleterre, c’est que j’espérais garder l’incognito, mais j’en ai reconnu l’impossibilité. J’espère que vous ne serez point tourmenté. En tout cas, je crois que vous auriez des défenseurs à Caen. J’ai pris pour défenseur Gustave Doulcet : un tel attentat ne permet nulle défense, c‘est pour la forme. Adieu, mon cher papa, je vous prie de m’oublier, ou plutôt de vous réjouir de mon sort, la cause en est belle. J’embrasse ma sœur que j’aime de tout mon cœur, ainsi que tous mes parents. N’oubliez pas ce vers de Corneille :
Le Crime fait la honte, et non pas l’échafaud !
C’est demain à huit heures, qu’on me juge. Ce 16 juillet. »
Après l’intervention de Chauveau-Lagarde, son défenseur, le jury reconnut que l’accusée avait commis l’assassinat « avec des intentions criminelles et préméditées ». Le tribunal condamna Charlotte Corday à la peine de mort et ordonna qu’elle serait conduite au lieu de l’exécution revêtue d’une chemise rouge réservée aux parricides.
Son exécution
Exécution de Charlotte Corday par James GillrayLe récit de son exécution figure dans les Mémoires de Samson, le bourreau chargé d’y procéder. Il raconte :
« Le mercredi 17, à dix heures du matin, j’allai demander l’ordre au citoyen Fouquier. Le citoyen Fouquier était en séance, il me fit répondre que j’eusse à attendre et à ne pas m’éloigner. Je redescendis et j’allai prendre une bouchée chez le citoyen Fournier. Vers une heure de l’après-midi, un citoyen qui descendait du Tribunal nous dit que la fille était condamnée. Je montai alors et je me trouvais dans la chambre des témoins lorsque le citoyen Fouquier la traversa avec le citoyen Montané. Il ne me vit pas, parce qu’il disputait fort vivement avec ledit Montané, qu’il accusait d’avoir été favorable à l’accusée. Ils restèrent plus d’une heure enfermés dans le cabinet. En sortant, le citoyen Fouquier m’aperçut et me dit avec colère : « Tu es encore là ? » Je lui observai que je n’avais pas eu d’ordre. Le citoyen Fabricius entra avec la minute et la copie du jugement qui fut signée, et nous descendîmes à la Conciergerie. Je parlai au citoyen Richard, et en lui parlant je vis la citoyenne son épouse, qui était toute pâle et comme tremblante. Je lui demandai si elle était malade. Elle me dit : « Attendez au tantôt, et peut-être le cœur vous défaillira-t-il plus qu’à moi. » Le citoyen Richard nous conduisit à la chambre de la condamnée. Les citoyens Firrase et Monet, huissiers du tribunal, entrèrent les premiers, je demeurai sur la porte. Il y avait dans la chambre de la condamnée deux personnes, un gendarme et un citoyen qui prenait son portrait. Elle était assise sur une chaise et écrivait sur le dos d’un livre. Elle ne regarda point les huissiers mais moi, et me fit signe d’attendre. Lorsqu’elle eut fini, les citoyens Firrase et Monet commencèrent la lecture du jugement et, pendant ce temps-là, la citoyenne Corday plia le papier qu’elle avait écrit dans la forme de lettre et la remit au citoyen Monet en le priant de la faire venir au citoyen député Pontecoulant. Alors elle a amené sa chaise au milieu de la chambre : s’étant assise, elle enleva son bonnet, dénoua ses cheveux couleur châtain-clair, qui étaient fort longs et fort beaux, et elle me fit signe de les couper. Depuis M. de La Barre, je n’avais pas rencontré tant de courage pour mourir. Nous étions là six ou sept citoyens dont le métier n’est pas fait pour attendrir beaucoup ; elle paraissait moins émue que nous tous et ses lèvres mêmes n’avaient pas perdu leur couleur. Lorsque ses cheveux furent tombés, elle en donna une partie au citoyen peintre qui l’avait dessinée et remit le reste au citoyen Richard pour son épouse. Je lui donnai la chemise rouge qu’elle passa et arrangea elle-même. Elle me demanda, alors que je me préparais à la lier, si elle devait garder ses gants, parce que ceux qui l’avaient liée lors de son arrestation l’avaient si fort serrée, qu’il lui en restait des cicatrices au poignet. Je lui dis qu’elle pouvait faire ce qu’elle désirait, mais que cette précaution était inutile parce que je saurais la lier sans lui faire aucun mal. Elle dit en souriant : « Au fait, ils n’en ont pas votre habitude », et elle me tendit ses mains nues.
Nous montâmes dans la charrette. Il y avait deux chaises, je l’engageai à s’asseoir, elle refusa. Je lui dis qu’elle avait raison et que, de la sorte, les cahots la fatigueraient moins, elle sourit encore, mais sans me répondre. Elle resta debout, appuyée sur les ridelles. Firmin, qui était assis derrière la voiture, voulut prendre le tabouret, mais je l’en empêchai, et je le mis devant la citoyenne, afin qu’elle pût y accoter un de ses genoux. Il plut et il tonna au moment où nous arrivions sur le quai ; mais le peuple, qui était en grand nombre sur notre passage, ne se dispersa pas comme d’habitude. On avait beaucoup crié au moment où nous étions sortis de l’Arcade, mais plus nous avancions, moins ces cris étaient nombreux. Il n’y avait guère que ceux qui marchaient autour de nous qui injuriaient la condamnée et lui reprochaient la mort de Marat. À une fenêtre de la rue Saint-Honoré, je reconnus les citoyens Robespierre, Camille Desmoulins et Danton. Le citoyen Robespierre paraissait très animé et parlait beaucoup à ses collègues, mais ceux-ci, et particulièrement le citoyen Danton, avaient l’air de ne pas l’écouter, tant ils regardaient fixement la condamnée. Moi-même, à chaque instant, je me détournais pour la regarder, et plus je la regardais, plus j’avais envie de la voir. Ce n’était pourtant pas à cause de sa beauté, si grande qu’elle fût ; mais il me semblait impossible qu’elle restât jusqu’à la fin aussi douce, aussi courageuse que je la voyais, je voulais m’assurer qu’elle aurait sa faiblesse comme les autres, mais je ne sais pas pourquoi, chaque fois que je tournais mes yeux sur elle, je tremblais qu’elle n’eut défailli. Cependant, ce que je regardais comme impossible est arrivé. Pendant les deux heures qu’elle a été près de moi, ses paupières n’ont pas tremblé, je n’ai pas surpris un mouvement de colère ou d’indignation sur son visage. Elle ne parlait pas, elle regardait, non pas ceux qui entouraient la charrette et qui lui débitaient leurs saletés, mais les citoyens rangés le long des maisons. Il y avait tant de monde dans la rue que nous avancions bien lentement. Comme elle avait soupiré, je crus pouvoir lui dire : « Vous trouvez que c’est bien long, n’est-ce pas ? » Elle me répondit : « Bah ! nous sommes toujours sûrs d’arriver », et sa voix était aussi calme, aussi flûtée que dans la prison.
Au moment où nous débouchâmes sur la place de la Révolution, je me levai et me plaçai devant elle pour l’empêcher de voir la guillotine. Mais elle se pencha en avant pour regarder et elle me dit : « J’ai bien le droit d’être curieuse, je n’en avais jamais vu ! » Je crois, néanmoins, que sa curiosité la fit pâlir, mais cela ne dura qu’un instant et presque aussitôt son teint reprit ses couleurs qui étaient fort vives. Au moment où nous descendions de la charrette je m’aperçus que des inconnus étaient mêlés à mes hommes. Pendant que je m’adressais aux gendarmes pour qu’ils m’aidassent à dégager la place, la condamnée avait rapidement monté l’escalier. Comme elle arrivait sur la plateforme, Firmin lui ayant brusquement enlevé son fichu, elle se précipita d’elle-même sur la bascule où elle fut bouclée. Bien que je ne fusse pas à mon poste, je pensai qu’il serait barbare de prolonger, pendant une seconde de plus, l’agonie de cette femme courageuse, et je fis signe à Firmin qui se trouvait auprès du poteau de droite, de lâcher le déclic. J’étais encore au pied de l’échafaud, lorsqu’un de ceux qui avaient voulu se mêler de ce qui ne les regardait pas, un charpentier nommé Legros, qui, pendant la journée avait travaillé à des réparations à la guillotine, ayant ramassé la tête de la citoyenne Corday, la montra au peuple. Je suis pourtant familiarisé avec ces sortes de spectacles et cependant j’eus peur. Il me semblait que c’était sur moi que ces yeux entrouverts étaient fixés et que j’y retrouvais encore cette douceur pénétrante et irrésistible qui m’avait tant étonné. Aussi, je détournai la tête. Ce ne fut que par des murmures que j’entendis autour de moi que j’appris que le scélérat avait souffleté la tête, ce furent les autres qui m’assurèrent qu’elle avait rougi à cette insulte. »
Quant à Michelet, voici le récit qu’il fit dans son Histoire de la Révolution française :
« Au moment où Charlotte Corday monta sur la charrette, où la foule, animée de deux fanatismes contraires, de fureur ou d’admiration, vit sortir de la basse arcade de la Conciergerie la belle et splendide victime dans son manteau rouge, la nature sembla s’associer à la passion humaine, un violent orage éclata sur Paris. Il dura peu, sembla fuir devant elle, quand elle apparut au Pont-Neuf et qu’elle avançait lentement par la rue Saint-Honoré. Le soleil revint haut et fort ; il n’était pas sept heures du soir (19 juillet). Les reflets de l’étoffe rouge relevaient d’une manière étrange et toute fantastique l’effet de son teint, de ses yeux.
On assure que Robespierre, Danton, Camille Desmoulins, se placèrent sur son passage et la regardèrent. Paisible image, mais d’autant plus terrible, de la Némésis révolutionnaire, elle troublait les cœurs, les laissait pleins d’étonnement.
Les observateurs sérieux qui la suivirent jusqu’aux derniers moments, gens de lettres, médecins, furent frappés d’une chose rare : les condamnés les plus fermes se soutenaient par l’animation, soit par des chants patriotiques, soit par un appel redoutable qu’ils lançaient à leurs ennemis. Elle montra un calme parfait, parmi les cris de la foule, une sérénité grave et simple ; elle arriva à la place dans une majesté singulière, et comme transformée dans l’auréole du couchant.
Un médecin qui ne la perdait pas de vue dit qu’elle lui sembla un moment pâle, quand elle aperçut le couteau. Mais ses couleurs revinrent, elle monta d’un pas ferme. La jeune fille reparut en elle au moment où le bourreau lui arracha son fichu ; sa pudeur en souffrit, elle abrégea, avançant elle-même au-devant de la mort.
Au moment où la tête tomba, un charpentier maratiste, qui servait d’aide au bourreau, l’empoigna brutalement, et, la montrant au peuple, eut la férocité indigne de la souffleter. Un frisson d’horreur, un murmure parcourut la place. On crut voir la tête rougir. Simple effet d’optique peut-être ; la foule, troublée à ce moment, avait dans les yeux les rouges rayons du soleil qui perçait les arbres des Champs-Elysées.
La Commune de Paris et le tribunal donnèrent satisfaction au sentiment public, en mettant l’homme en prison. »
Je viens de trouver ce lien http://www.vimoutiers.net/charlotte_corday.htm Pour en savoir plus si vous le désirez